J’aurais dû commencer par raconter les
grands moments de cette journée de Musiques
en Voûtes à Vitteaux, les passionnantes visites commentées de l’église
Saint-Germain – son architecture, son jubé devenu tribune d’orgue, sa crypte aux
peintures murales, son triptyque (1) – mais non, décidément, je ne parviens pas
à me détacher de l’émotion ressentie avec le concert du Quatuor Manfred et de son invité, le baryton Pierre-Yves Pruvot.
Un rêve sauvage et morbide
Il y a des jours de grâce pour les
musiciens, et ce samedi de septembre en était un pour les Manfred. Oser, comme ils l’ont
fait, interpréter cet étonnant et lugubre Notturno
opus 47 du méconnu suisse Othmar Schoek, relevait de la provocation : ce
fut le contraire et le public divers et nombreux (où se côtoyaient spécialistes
musicologiques et familles venues de tous les coins de Côte-d'Or) a retenu son
souffle, si ce n’est ses larmes, au long des cinq mouvements de cette longue
complainte post-romantique où le mort rôde constamment (poèmes de Lenau, prose
de Keller) et qui constitue une oeuvre disparate où se marient subtilement
l’esprit symphonique, la subtilité du lied romantique et la finesse intime du
quatuor à cordes.
Il y eut même, comme dans le second
mouvement, cette agonie terrible d’un "rêve sauvage" introduit d’abord par un
extraordinaire presto du quatuor en
sourdines annonçant un chant désespéré en une longue chute vers le néant que la
voix de Pierre-Yves Pruvot, toujours plus grave et nuancée, aux résonnances
inouïes, accompagnait les mots lourds des "invités mauvais" et les vestiges de
vilaines créatures dans les larmes côtoyant le vin renversé sur la table.
Mahler et Schumann aussi
Cette oeuvre, très peu hétéroclite dans son
inspiration si ce n’est dans sa multi-forme, s’achève par un solo du baryton
qui va, regardant les étoiles, redonner à cette morbide descente aux enfers un
peu de lumière : le quatuor, alors, par de très étonnants souffles d’archets
suspendus, laisse petit à petit, uniquement par des frictions de sonorités
aigües, entrevoir, de cette fin tragique, comme un lumignon d’espérance.
Cela méritait bien un bis, et quel ! On eut
droit à une version transcrite pour voix et quatuor d’un Ruckert-lied de Mahler dont l’étirement mélodique est d’une beauté
sidérale et qui nous rappelait qu’en début de programme, ce prodigieux Quatuor Manfred avait tutoyé
l’impossible métaphysique de l’apparente jovialité du Quatuor n°1 de Schumann. On ne sait pas ce qui s’est passé entre
les quatre grands musiciens des Manfred (2), mais là, c’est sûr, ils ont
atteint des sommets qu’ils n’avaient fait, jusqu’ici, qu’éffleurer.
Michel HUVET
(1) Par Bernard Warnas et Roger Froidurot
(2) Marie Béreau et Luigi Vecchinni
(violons), Emmanuel Harratyk (alto) et Christian Wolff (violoncelle)
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