La mort d’Aubert Lemeland, survenue à Paris le 15 novembre, a déclenché chez bien des mélomanes un immense chagrin. Mais, plus encore, c’est Jean-Louis Roy qui aura en ces jours le plus de regrets : il se sera battu longtemps, à Dijon et ailleurs, pour que l’oeuvre de son père, Jules Roy, mise en opéra par Aubert Lemeland, soit enfin représentée lors du centenaire de l’auteur des Chevaux du soleil, en 2007.
M’étant quelque peu engagé à ses côtés pour que Lieutenant Karl fût enfin représenté à Dijon, je ne peux que laisser l’immense mélomane qu’est Jean-Louis Roy rendre ici hommage à un musicien né au pays de Barbey d’Aurevilly (La Haye-du-Puits) qui a traversé ce siècle avec des musiques exigeantes et toutes inspirées des terribles heures que, comme Jules Roy, il traversa entre 1940 et 1945.
Michel HUVET
REQUIEM POUR UN SOLDAT MUSICIEN
Les premières orgues qui retentirent aux oreilles d’Aubert Lemeland furent celles des forteresses volantes B-17 qui traversaient le Cotentin pour écraser l’Allemagne et quelques points stratégiques de France et de sa chère Normandie. Né en 1932 à La Haye-du-Puits, il refermé sa partition le 15 novembre 2010, à Paris où il vivait.
Pendant les 78 ans de sa vie, le débarquement du 6 juin 44 a constamment retenti dans sa musique. Il a chanté la mer, le ciel et les soldats morts, l’honneur et la gloire de jeunes hommes au destin fracassé (Omaha, Songs for the dead Soldiers, Airmen, A l’Etale de basse-mer ont reçu ensemble un Diapason d’Or). Un des derniers grands héritiers de l’impressionnisme musical français, son œuvre comporte plus de 220 numéros dont 12 symphonies, 3 concertos de violon et deux opéras. Riche et variée, elle a été souvent enregistrée, un Grand Prix Charles Cros lui fut décerné en 1995.
Ses partitions de chambre avec instruments à vents lui apportaient « un plaisir d’écriture qui est comme celui de respirer, de vivre ». Il partage la fraîche et fluide diction qui circule du dernier Debussy via Koechlin jusqu’à Dutilleux ou Ohana. Sa méthode d’harmonisation tonale moderne et ses mélodies ont une expression modale très avancée. La profonde technique d’orchestration de ses 3 Poèmes de Stéphane Mallarmé rappelle Ravel. Il a fondé l'Ensemble de chambre Français.
La musique de Lemeland, tonale, est très accessible ; les Ballades du soldat, pour piano seul jouées par Jean-Pierre Ferey (excellent pianiste qui dirige par ailleurs l’éditeur Skarbo), sont des miniatures inspirées par les lettres de soldats américains acteurs du débarquement de 1944. En 2002, il bâtira sa 10e symphonie (6 mouvements, un narrateur, une soprano et l’orchestre) sur des lettres de soldats allemands piégés à Stalingrad, l’accouplant au Mémorial « Dieppe 19 août 1942 » qui exprime sa compassion pour les Canadiens morts à Dieppe. Comme dans Omaha, on y retrouve ses admirables expressions d’harmonie lyrique.
En 1996, il avait rencontré Jules Roy dont l’œuvre d’écrivain-soldat allait nourrir la sienne. Pour fêter son centenaire en 2007, il acheva son opéra, Lieutenant Karl ; son premier, Laure ou La Lettre au Cachet Rouge, venait en droite ligne de Vigny. Pourtant, il restait méconnu ; peu joué, il était à bout de ressources, condamné à l’ascétisme. Il tarda à consulter, craignant sans doute de ne pouvoir se payer un spécialiste. Hospitalisé trop tard, l’intervention nécessaire l’aggrava, la situation n’eut d’autre issue que celle qui lui était familière depuis l’enfance. Il l’affronta avec sérénité.
Les concours officiels, que je sollicitais en vain pour lui depuis un an, se sont manifestés le lendemain de sa mort. Je ne pus que leur confier l’heure de son service religieux et de son enterrement au Père-Lachaise pour qu’ils puissent, au moins par une gerbe, lui témoigner leur reconnaissance.
Jean Louis Roy.