mercredi 6 décembre 2017

1967 À DIJON : PARDONNE-MOI JOHNNY ...

(Photo Michel Huvet)


Tout jeune débutant dans le journalisme et la critique musicale (classique), je me suis retrouvé confronté à Johnny Hallyday un soir de 1967 au théâtre de Dijon. J'ai raconté cela dans mes Souvenirs d'un pisseur d'encre. Voici ce récit...


Mon rédacteur en chef, en ces temps lointains où un rédacteur en chef ignorait encore ce que pouvaient signifier rock ou pop music, avait cru bon, un soir de 1967, de m’envoyer assister à un « récital » du nommé Hallyday, prénom Johnny, dont les gazettes avaient déjà fait une idole en ces années où elles finirent pourtant toutes par tomber. J’étais, si je me rappelle bien, dans les coulisses à côté de la bête, bardé d’un énorme « 6/6 » affublé lui-même d’un flash digne des films de Renoir, lui-même relié par un fil noir en accordéon à une énorme batterie qui pendait le long de mon épaule. La bête ânonnait des complaintes si bruyantes que mes connaissances mozartiennes ne m’étaient guère utiles en la circonstance et je la vis jeter soudain une chemise – plus serpillière que liquette d’ailleurs – à la foule de jeunes égéries dépoitraillées qui délirait sur les fauteuils et au balcon d’un vieux théâtre à l’italienne qui n’avait évidemment pas été conçu pour cela.

Une page d'insultes !  

Dans le journal, je racontai cela sans ambages. L’idole, qui avait sommeillé à l’Hôtel de la Cloche, alors le nec plus ultra de l’hôtellerie dijonnaise, appela le Journal qui avait lors pignon sur place presque en face, et promit de venir illico me faire ma fête. Je n’en menai pas large, je l’avoue, à peine rassuré par les braves ouvriers du Livre qui, au rez-de-chaussée, avaient préparé des barres de plomb pour fortifier mes défenses. Et le Journal fut, dès le lendemain, assailli de lettres féroces, analphabètes et sans nuances, qui me vouaient aux gémonies : « Si ça se trouve, m’écrivait ainsi un yéyé, tu es bâti comme une bouteille de Sylvaner et tu n’oserais pas l’enlever, toi, ta chemise, ah, ah ! » Bref : Le Bien Public, sous la pression populaire, fut contraint de publier, dans la semaine qui suivit, deux pleines pages de « lettres de lecteurs », la page de gauche me condamnant à mort, la page de droite me louant d’avoir osé dire tout haut que cette « musique de sauvage » n’avait rien à voir avec de la musique. J’en sortis penaud, fâché avec une sœur hallidayenne, mais auréolé d’une gloire populaire qui mit deux générations à décroître !