C'est bien Friedelind Wagner qui accueille les spectateurs à l'Auditorium (Photo Gilles Abbeg) |
Une fois le rideau baissé, après que les
quatre drames musicaux ont livré leurs parfums, on reste un instant dans le
large fauteuil de cette salle de l’Auditorium à l’acoustique parmi les
meilleures d’Europe – elle vaut celle en bois de la “Philharmonie” à Berlin –
et on revit tout ou partie des fortes émotions qui nous ont ébranlé l’âme deux
jours durant avec ce Ring offert en
grande première à Dijon cent trente-sept ans après la création à Bayreuth.
Alors quoi ? C’était donc ça la fameuse
tétralogie ? C’était donc ça la saga mythologique wagnérienne, celle qui
faisait peur à tout un chacun, surtout en France, depuis des générations ? On
se frotte les yeux : ce Ring, quoi
qu’en aient dit des Parisiens jaloux et des puristes traditonnalistes,
constitue bien un événement qui fera date, et sa modernité est tout autant dans
son poème dramatique – les jeunes ne s’y trompent pas qui sont abreuvés aux
romans de science-fiction façon Seigneur
des anneaux – que dans sa
musique inouïe dans tous les sens du terme.
Laurent Joyeux et Daniel Kawka ont réalisé
ce que tout mélomane connaissant le génie wagnérien rêve depuis sa conversion à
l’homme de Bayreuth : qu’on le réhabilite enfin après tous les masques dont
l’Histoire a voulu l’affubler, sur lui comme sur sa tétralogie, qu’on le
réhabilite pour qu’enfin on découvre son génie visionnaire et sa façon, comme
disait Boulez, de "rouler des énergies à l’état naissant". On en avait assez
des Walkyries en vaches rhénanes, des suspicions politiques dès qu’on mettait
le pied sur la colline bavaroise, voire des quolibets des lyricomanes façon
Massenet/Verdi qui renâclaient à Wagner faute d’y trouver des contre-ut et des
occasions de bisser.
Encore fallait-il que le projet de ce Ring ait un angle d’attaque. C’est
Friedelind qui l’a apporté, le petite-fille de Wagner ayant, si l’on ose dire,
fait le premier travail de réhabilitation en fuyant famille et patrie dès 1940
et, après un séjour en prison et la fuite aux USA grâce à Toscanini, jeta ceci
dans les micros : "Wagner est mort
et ne peut se défendre (…) La rédemption, ce motif profondément christique se révèle
comme le véritable leitmotiv de l’oeuvre de Richard Wagner et Hitler, le
blasphémateur, blasphème ainsi Wagner en en faisant son artiste de prédilection
(…) Richard Wagner, qui chérissait la liberté et la justice plus encore qu’il
n’aimait la musique, n’aurait pas pu respirer dans l’Allemagne de Hitler".
De g. à d. Daniel Kawka et François Rebsamen, maire de Dijon, lors du vernissage de l'exposition (Photo Gilles Abbeg) |
L’exposition sur Friedelind – qui va rester
deux mois en place –, tout autant que le beau spectacle du Golem Théâtre donné
durant une semaine en hommage à Friedelind, s’est ainsi présentée comme la
porte d’entrée symbolique à la réalisation du Ring par Laurent Joyeux et son équipe. C’est elle qui permet de
comprendre la mise en scène poético-ironique où les dieux sont enfin ramenés à
échelle humaine, où est affirmée la liberté comme suprême et unique valeur
existentielle. C’est aussi ce que dit la musique de Wagner, d’un bout à l’autre
: sans l’amour, sans la rédemption apportée in
fine par Brünnehilde/Antigone, pas d’issue.
Et la musique le dit parce qu’un orchestre
unique – créé pour la circonstance comme l’avait fait le compositeur en 1876 –
a suivi un chef comme Daniel Kawka dans cette entreprise d’archéologie musicale
qui aboutit à renforcer encore, s’il en était besoin, le génie et la modernité
d’un artiste hors normes.
Michel HUVET
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