lundi 14 octobre 2013

LE RING À L'OPÉRA DE DIJON : II.- SOUS LE REGARD DE FRIEDELIND


C'est bien Friedelind Wagner qui accueille les spectateurs à l'Auditorium (Photo Gilles Abbeg)


Une fois le rideau baissé, après que les quatre drames musicaux ont livré leurs parfums, on reste un instant dans le large fauteuil de cette salle de l’Auditorium à l’acoustique parmi les meilleures d’Europe – elle vaut celle en bois de la “Philharmonie” à Berlin – et on revit tout ou partie des fortes émotions qui nous ont ébranlé l’âme deux jours durant avec ce Ring offert en grande première à Dijon cent trente-sept ans après la création à Bayreuth.

Alors quoi ? C’était donc ça la fameuse tétralogie ? C’était donc ça la saga mythologique wagnérienne, celle qui faisait peur à tout un chacun, surtout en France, depuis des générations ? On se frotte les yeux : ce Ring, quoi qu’en aient dit des Parisiens jaloux et des puristes traditonnalistes, constitue bien un événement qui fera date, et sa modernité est tout autant dans son poème dramatique – les jeunes ne s’y trompent pas qui sont abreuvés aux romans de science-fiction façon Seigneur des anneaux  – que dans sa musique inouïe dans tous les sens du terme.

Laurent Joyeux et Daniel Kawka ont réalisé ce que tout mélomane connaissant le génie wagnérien rêve depuis sa conversion à l’homme de Bayreuth : qu’on le réhabilite enfin après tous les masques dont l’Histoire a voulu l’affubler, sur lui comme sur sa tétralogie, qu’on le réhabilite pour qu’enfin on découvre son génie visionnaire et sa façon, comme disait Boulez, de "rouler des énergies à l’état naissant". On en avait assez des Walkyries en vaches rhénanes, des suspicions politiques dès qu’on mettait le pied sur la colline bavaroise, voire des quolibets des lyricomanes façon Massenet/Verdi qui renâclaient à Wagner faute d’y trouver des contre-ut et des occasions de bisser.

Encore fallait-il que le projet de ce Ring ait un angle d’attaque. C’est Friedelind qui l’a apporté, le petite-fille de Wagner ayant, si l’on ose dire, fait le premier travail de réhabilitation en fuyant famille et patrie dès 1940 et, après un séjour en prison et la fuite aux USA grâce à Toscanini, jeta ceci dans les micros  : "Wagner est mort et ne peut se défendre (…) La rédemption, ce motif profondément christique se révèle comme le véritable leitmotiv de l’oeuvre de Richard Wagner et Hitler, le blasphémateur, blasphème ainsi Wagner en en faisant son artiste de prédilection (…) Richard Wagner, qui chérissait la liberté et la justice plus encore qu’il n’aimait la musique, n’aurait pas pu respirer dans l’Allemagne de Hitler".

De g. à d. Daniel Kawka et François Rebsamen, maire de Dijon, lors du vernissage de l'exposition (Photo Gilles Abbeg)

L’exposition sur Friedelind – qui va rester deux mois en place –, tout autant que le beau spectacle du Golem Théâtre donné durant une semaine en hommage à Friedelind, s’est ainsi présentée comme la porte d’entrée symbolique à la réalisation du Ring par Laurent Joyeux et son équipe. C’est elle qui permet de comprendre la mise en scène poético-ironique où les dieux sont enfin ramenés à échelle humaine, où est affirmée la liberté comme suprême et unique valeur existentielle. C’est aussi ce que dit la musique de Wagner, d’un bout à l’autre : sans l’amour, sans la rédemption apportée in fine par Brünnehilde/Antigone, pas d’issue.

Et la musique le dit parce qu’un orchestre unique – créé pour la circonstance comme l’avait fait le compositeur en 1876 – a suivi un chef comme Daniel Kawka dans cette entreprise d’archéologie musicale qui aboutit à renforcer encore, s’il en était besoin, le génie et la modernité d’un artiste hors normes.

Michel HUVET

Voir aussi : III.- Le contraire d'une imposture



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