Les filles du Rhin selon Laurent Joyeux à Dijon (photo Gilles Abbeg) |
La première des réussites est dans
l’approche générale de cette oeuvre gigantesque : une volonté manifeste de
débarrasser Wagner de tout pathos et des encombrantes traditions qui se sont
accumulées au fil des décennies. Non, le Walhalla ne s’écroule pas dans un
déluge de feu et d’eau, non la marche funèbre de Siegfried ne s’étire pas dans
un torrent de larmes et de sanglots lentement éternués.
L’ensemble de ce Ring se meut ainsi dans une sorte de clair-obscur, en noir et
blanc, une sorte de crépuscule permanent qui laisse parfois entrevoir une
aurore naissante, par exemple quand les dieux rentrent au Walhalla (Rheingold), quand Wotan quitte
Brünnhilde endormie sur son rocher-cygne (Walküre),
et surtout quand un enfant survit au désastre final, arrivé du couloir de
l’infinie espérance (Götterdämmerung).
Pas de couleur ? Si ! Elle est dans la musique, elle sort en
bouquets poétiques de la “fosse mystique” dans laquelle un orchestre
époustouflant obéit à un chef, Daniel Kawka, qui ne l’est pas moins. Avec des
tempi rapides, un sens du détail instrumental de chambriste, il laisse Wagner
devenir ce qu’il est et que beaucoup ne savaient pas ou plus voir : un immense
poète visionnaire. Ce sens poétique est ainsi dans la fosse autant que sur la
scène. Intense poésie des décors – le rocher cygne, les arbres de papier, la
vieille bibliothèque qui entasse au Walhalla un savoir poussiéreux – et intense
poésie musicale avec cette direction quasi-mozartienne.
Il y a même plus : la modernité incroyable
de la musique de Wagner. Quand on sort des deux préludes composés par Brice
Pauset pour chacune des deux soirées du Ring
– insondable gouffre de chuintements et de grincements pour La Vieille dame sur un grave mi bémol
préparant celui du Rheingold,
frottements et étincelles pour le tissage des fils des Nornes – on est saisi
par les combinatoires instrumentales de Wagner et leur harmonisation
audacieuse. Daniel Kawka ressent de manière impressionnante l’évidence
structurelle et poétique de cette musique sans équivalent. Les Solti, Karajan
et autres Furtwängler sont balayés par cette finesse bienfaisante et cette
réhabilitation idéale.
Le Ring va ainsi son train d’enfer, de
l’hiver à l’hiver, balançant entre le noir désespérant de l’âme humaine et le
blanc d’une improbable rédemption : à cet égard, les apparitions des jeunes
maîtrisiens en oiseaux et cet enfant qui nous regarde sur la ligne céleste des
violons de l’apothéose font basculer ce Ring
du côté de la Flute enchantée de
Mozart.
VOIR AUSSI : II. SOUS LE REGARD DE FRIEDELIND
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