(Photo Annie-Paule de Prinsac) |
On se pince, on boit un
verre de crémant en la compagnie des artistes après le concert, on se dit qu’on
n’a pas rêvé. C’est pourtant bien dans un rêve métaphysique, dans un temps
suspendu façon Proust, dans une ambiance de pure éternité, qu’on a entendu deux
soirs de suite le violoncelliste, la pianiste et la cantatrice proposer un
parcours dans l’ineffable, dans la pure beauté, dans un printemps quasiment
éternel.
Eux-mêmes, les artistes,
n’en sont pas revenus. « Il s’est passé quelque chose d’incroyable, jamais
on n’a joué comme ça » disait Anne Le Bozec après le concert. Et c’est
vrai, qu’à l’issue des quatre lieder de Henri Duparc – mais surtout l’Extase –,
on était ailleurs, dans un climat surréel : jamais on n’avait entendu
piano et voix s’entrelacer de la sorte dans ces mélodies élévatrices que Janina
et Anne ont interpétées dans un même souffle, avec des pianissimi à s’évanouir.
Ayant fini, elles n’ont pu, toutes les deux, que tomber dans les bras l’une de
l’autre.
Chopin et le violoncelle
La veille au soir, dans
un climat certes très différent, un autre sommet fut atteint. Alain Meunier et
Anne Le Bozec ont gravi un sommet, et nous l’ont fait gravir avec eux.
L’incompréhensible – et du coup très peu jouée – Sonate pour violoncelle et
piano de Frédéric Chopin, a trouvé en eux, dans cette grange et ce soir-là,
tout son sens et sa gravité. En tout cas, avec ce violoncelle très moderne aux
plus fortes couleurs de l’arc-en-ciel, avec cette pianiste qui a les doigts de
Chopin, voilà quatre mouvements qui nous ont embarqué dans une sorte de poésie
testamentaire (l’andante surtout) dont la modernité musicale est soudain
apparue avec une netteté confondante.
Faudrait-il dire aussi
l’émotion qui a étreint l’assistance si nombreuse quand on a entendu, par les
mêmes artistes complètement transcendés, dans les cinq Rückert-Lieder de Mahler
(on est hors de l’espace-temps avec l’aveu de Mahler qu’il « est perdu pour
le monde ») la voix de Janina Baechle fendre le ciel et tutoyer quelques
anges ? Faudrait-il dire enfin la découverte du génie de Zemlinsky dans sa
Sonate pour violoncelle et piano et combien nous n’avions jamais su entendre
comment Brahms savait apaiser tous nos désirs (lied Gestillte
Sehnsucht) ?
Pour redescendre dans
notre triste terre, les artistes ont su conclure par de jolis sourires, tels
que des bis façon Poulenc – les Chemins de l’amour ont été interprétes en
hommage à Jean-Louis et Martine Chastaing – ou ce très intattendu et souriant
Madrigal de Granados.
Michel HUVET
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