(Photo Grange du Prieuré) |
La Grange du Prieuré, à Vitteaux, a une âme. On n’en
doute plus après l’événement exceptionnel, unique en France, qui s’est produit
dimanche soir avec le concert inouï donné devant un public médusé par un
duo piano/voix comme on n’en entendra plus avant … l’année prochaine !
Il y avait Anne Le Bozec, pianiste au “toucher” inégalé,
lauréate internationale et donnant des master-class dans le monde entier. Il y
avait aussi Janina Baechle, mezzo allemande qui chante Fricka et Erda à l’Opéra de
Vienne, et dont les disques Brahms (avec Markus Hadulla) ont révélé au monde
l’humanisme inégalé.
Toutes les deux, qui courent les plus grands
festivals du monde, sont venues … à Vitteaux, oui à Vitteaux, et elles ont même
dit qu’elles voulaient y revenir ! Tout cela grâce à la complicité amicale de
Jean-Louis et Martine Chastaing qui ont rencontré les deux artistes au festival
de Menton et ont su les convaincre de venir à Vitteaux entre deux prestations à
Paris ou à Berlin!
Et puis, on a dit que le public – la Grange était
archi-comble – est resté médusé. Par le jeu des artistes mais surtout par leur
incarnation du répertoire choisi : la poésie pure élevée par le talent à la
hauteur d’une métaphysique. Les mots manquent pour dire comment la poésie de
Schumann et Kerner (la Suite des 12
Lieder) s’est dégagée de l’interprétation des deux jeunes femmes : la nuit
d’orage donna le ton et s’ensuivit alors une fiancée du ciel (Stirb Lieb und Freud) où le toucher
bouleversant d’Anne rejoignit les nuances vocales sidérantes de Janina.
Les deux ne s’arrêtèrent plus, enchaînant les arches
de couleur et les élans nostalgiques, les subtilités du silence ainsi revisité,
avant d’entraîner le public – qui retenait son souffle – dans le “concerto” que
constitue le Poème de l’Amour et de la
Mer d’Ernest Chausson, ce musicien mort trop jeune pour qu’on sache quel
magnifique compositeur il est et dont ce Poème révèle qu’il demeure un
wagnérien … impressionniste.
Sous les doigts d’Anne Le Bozec le vent “roulait
effectivement des feuilles mortes” et l’on entendait en abondance des ruissellements
de harpe et des pépiements de flûtes tandis que Janina Baechle faisait respirer
à grands coups de sons flûtés une “odeur exquise de lilas”. Et quand on crut,
au bout de ce poème qui pique l’âme jusqu’en son fond, que c’était fini, eh !
bien non : les deux magnifiques artistes offrirent deux “trouées de ciel” à
leur façon : un Lied de Mahler qui étire le temps musical jusqu’à la frontière
de l’éternité, et ce chant étonnant d’un Ernest Paladine dont notre époque a
oublié jusqu’au nom.
Dans la salle, après cet inoubliable récital – suivi
de près par Alain Meunier, le grand violoncelliste n’ayant d’yeux que pour
Anne, son épouse – on eut du mal à reprendre la prose quotidienne en
applaudissant aussi Martine et Jean-Louis Chastaing qui fêtaient ce soir-là,
dans leur grange de Vitteaux, leur anniversaire de mariage.
Michel
HUVET
Précision... c'est d'Ernest Paladilhe qu'était le second bis. L'auteur de Patrie, et de plusieurs autres ouvrages lyriques laisse des mélodies, injustement oubliées.
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