vendredi 11 octobre 2013

LE RING À L'OPÉRA DE DIJON : I.- ADIEU PATHOS, BONJOUR POÉSIE


Les filles du Rhin selon Laurent Joyeux à Dijon (photo Gilles Abbeg)



D’emblée, il faut préciser : la réussite exceptionnelle du Ring wagnérien à Dijon est due à ce qu’on ne trouve pas souvent dans les maisons d’opéra : la vision claire et commune, chacun dans son domaine, du chef d’orchestre et du metteur en scène, Daniel Kawka d’un côté, Laurent Joyeux et son érudit complice Stephen Sazio de l’autre. C’est incontestablement cette identité de vue qui donne à ce Ring sa valeur légendaire et en fait désormais une référence.

La première des réussites est dans l’approche générale de cette oeuvre gigantesque : une volonté manifeste de débarrasser Wagner de tout pathos et des encombrantes traditions qui se sont accumulées au fil des décennies. Non, le Walhalla ne s’écroule pas dans un déluge de feu et d’eau, non la marche funèbre de Siegfried ne s’étire pas dans un torrent de larmes et de sanglots lentement éternués.

L’ensemble de ce Ring se meut ainsi dans une sorte de clair-obscur, en noir et blanc, une sorte de crépuscule permanent qui laisse parfois entrevoir une aurore naissante, par exemple quand les dieux rentrent au Walhalla (Rheingold), quand Wotan quitte Brünnhilde endormie sur son rocher-cygne (Walküre), et surtout quand un enfant survit au désastre final, arrivé du couloir de l’infinie espérance (Götterdämmerung).

 Pas de couleur ? Si ! Elle est dans la musique, elle sort en bouquets poétiques de la “fosse mystique” dans laquelle un orchestre époustouflant obéit à un chef, Daniel Kawka, qui ne l’est pas moins. Avec des tempi rapides, un sens du détail instrumental de chambriste, il laisse Wagner devenir ce qu’il est et que beaucoup ne savaient pas ou plus voir : un immense poète visionnaire. Ce sens poétique est ainsi dans la fosse autant que sur la scène. Intense poésie des décors – le rocher cygne, les arbres de papier, la vieille bibliothèque qui entasse au Walhalla un savoir poussiéreux – et intense poésie musicale avec cette direction quasi-mozartienne.

Il y a même plus : la modernité incroyable de la musique de Wagner. Quand on sort des deux préludes composés par Brice Pauset pour chacune des deux soirées du Ring – insondable gouffre de chuintements et de grincements pour La Vieille dame sur un grave mi bémol préparant celui du Rheingold, frottements et étincelles pour le tissage des fils des Nornes – on est saisi par les combinatoires instrumentales de Wagner et leur harmonisation audacieuse. Daniel Kawka ressent de manière impressionnante l’évidence structurelle et poétique de cette musique sans équivalent. Les Solti, Karajan et autres Furtwängler sont balayés par cette finesse bienfaisante et cette réhabilitation idéale.

Le Ring va ainsi son train d’enfer, de l’hiver à l’hiver, balançant entre le noir désespérant de l’âme humaine et le blanc d’une improbable rédemption : à cet égard, les apparitions des jeunes maîtrisiens en oiseaux et cet enfant qui nous regarde sur la ligne céleste des violons de l’apothéose font basculer ce Ring du côté de la Flute enchantée de Mozart.


Michel HUVET

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