vendredi 1 octobre 2010

OPERA DE DIJON : TRAGIQUE MADAMA BUTTERFLY


Le ciel ne brille plus sur la mer dans la baie d’Osaka. Non par minimalisme d’un metteur en scène obtus, mais parce que le coeur de Cio-Cio-San n’est plus chauffé par le moindre rayon. Comprendre cela – qui est dans la musique de Puccini –, c’est tenir les clefs de la stupéfiante, tragique et juste mise en scène que Jean-François Sivadier vient d’offrir à l’Opéra de Dijon pour cette Madama Butterfly qu’on n’oubliera jamais.

On voudrait, d’emblée, dire aussi que sans Pascal Verrot à la direction musicale, Sivadier n’eut pu être aussi bien “lisible” qu’il le fut ici : le maestro se glisse en effet dans cette optique de justesse tragique avec une science de la “couleur” orchestrale qui a transfiguré l’Orchestre Dijon-Bourgogne, attentif, précis, homogène et creuset du spectacle. Ce qui sidère au fond le plus dans cette version, c’est sa modernité et le fait que cette modernité soit autant dans la musique que dans le livret : opéra féministe, anti-colonialiste (on est en 1904 !) et dont le vérisme du style ressemble parfois à un impressionnisme intérieur !

Sivadier dit quelque part que le thème majeur de cet opéra est l’attente. Oui, attente d’un autre monde, attente de la mort inéluctable, attente de Dieu, quête d’absolu en tout cas. Attente aussi pour le spectateur/auditeur : rien ne se passe sur ce plateau nu jusqu’à ce qu’enfin s’envole un vrai papillon géant dans une écume d’étoffe déchirant le ciel. Et puis les images vont ainsi découler l’une de l’autre, au gré de cette musique que Pascal Verrot défluidifie et assombrit au fil des actes.

Et ces images sont comme les thèmes musicaux, les catacombes du coeur de Cio-Cio-San : séparation du couple dès l’invitation nuptiale, ciel de Toussaint à l’heure vespérale où l’attente devient insupportable, fleurs cueillies dans un jardin devenu squelettique et qui deviennent un cimetière d’illusions dans un Golgotha lugubre. Le plus étonnant, c’est bien l’adéquation parfaite obtenue avec ce que dit la musique de Puccini.

Faut-il ajouter que tout cela n’aurait qu’une vérité d’ectoplasme si des chanteurs/comédiens remarquables ne venaient habiter ce temps d’attente humainement désertique et le nourrir de leur sève charnelle. Tatiana Monogarova, pour ne citer qu’elle, est une soprano à la voix d’absolue vérité – rares sont les cantatrices dont la voix, à ce point, a la justesse de ce qu’elle incarne – qui ira jusqu’à se fracasser volontairement au dernier acte dans les accords cuivrés déchirants à à qui Pascal Verrot donne une force tellurique de fin du monde et dont l’harmonie tordue est digne du Schnittke des années 70 !

Michel HUVET





2 commentaires:

  1. J'ai vu un soir à l'opéra de Dijon une Madame Butterfly traditionnelle avec une grosse dondon pour chanter Cio-Cio-San et un orchestre de Dijon si nul que je ne reconnaissais rien de l'éblouissement de mes souvenirs. En rentrant chez moi j'ai aussitôt mis mon disque de Maazel avec Renata Scotto et Placido Domingo et la magie est revenue. Je me suis bien juré que je ne retournerai plus jamais voir de l'opéra à Dijon. Votre appréciation du Madama Butterfly récent m'interroge. Si c'est si bien, pourquoi ne pas rameuter le public pour qu'il ne manque pas une telle réussite ! Mais vous n'avez jamais été très sévère pour les artistes dijonnais.

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  2. Sauf qu'ici, rien de Dijonnais dans cet opéra, sauf les musiciens de l'orchestre. Maazel c'était bien, mais cela restait dans la "tradition". Ici, Verrot en fait de la musique digne de Charles Ives, si, si !
    MH

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