Arrive un temps, l’automne sans doute, où
les tiges se penchent et les pétales se courbent. C’est le temps de la
conscience de la finitude et des vérités pascaliennes sur le divertissement.
Jean Libis, l’ami mélomane, le philosophe
éminemment bachelardien, le professeur qui sut arrêter sa course quand il
s’aperçut qu’elle le faisait ressembler au Sisyphe camusien, Jean Libis donc se
sait en automne et contemple le monde par les arbustes sauvageons et les "carrés des éteules". Lui seul sait, mieux que Rousseau, mieux qu’un cistercien
contemplatif, dire la vie qui passe et les tourments des hommes rien qu’en
regardant les fleurs, les plantes, les collines, et la mer, oui, la mer.
Ce vent doux de la mémoire "qui rend vivant
le saule pleureur", Jean Libis a voulu le faire partager à quelques amis – 183
! – en leur offrant, sous le titre Les Fleurs jaunes, dix méditations qui sont
autant de signaux amicaux envoyés poétiquement par un philosophe qui se promène
quand même souvent en solitaire du côté de Nolay, même s’il ne cite pas
Jean-Jacques et ses Rêveries.
Il cite Bachelard, bien sûr, mais aussi
Bergson, mais encore Schopenhauer, ce grand pessimiste qui l’inspire et qu’il
repousse en même temps. Jean Libis est vraiment Jean Libis quand il affirme que "l’optimisme et le ravissement sont les deux mamelles de l’illusion". Car bien
sûr, aucun de nos modernes sophistes ne trouve grâce à ses yeux, lui qui sait
ce que la mer, l’eau, les rêves, peuvent apporter à l’homme et que ne lui
apporteront jamais les théoriciens du big-bang en leur "charabia" savant.
Au fond, Jean Libis, au milieu des campanules et autres
violettes, cherche à comprendre le mot destin. Il n’y parvient qu’en discernant
quelques autres vies possibles que nous n’apercevrions "que comme des éclairs",
une contingence contre laquelle il n’y a rien à opposer, si ce n’est que c’est
elle qui aura le mot de la fin.
Ces dix improvisations pourraient laisser
un goût un peu amer. Elles sont comme les Variations Golberg de Bach, ténues et
superbement ficelées, clavecinesques ou psaltérionesques, elles piquent l’âme
au bon endroit et renvoient toutes prétentions à leur absurdité.
Jean Libis, Les Fleurs jaunes, 55 pages,
Dicolorgoupe 2014