mercredi 20 août 2014

BUTTE DE THIL : LE 6° RENDEZ-VOUS D'ANNE-MARIE BLANZAT




Anne-Marie Blanzat (Photo X)
Ils sont chanteurs et cantatrices, semi ou carrément professionnels, et ils accourent depuis six ans sous la butte de Thil pour profiter pendant une semaine des master-class d’Anne-Marie Blanzat, cantatrice internationale et professeur de chant parisienne, dont la chance a voulu qu’avec son mari Jacques Mas, ils s’installent chaque été dans une maison de famille à Vic-sous-Thil !

AM Blanzat à Turin dans Mélisande (Ph Pier-Giorgio Naretto)
C’est ainsi qu’est née et que grandit l’Académie de Thil, une chance pour l’Auxois et pour la butte sur laquelle se dresse la collégiale où se déroulent au bout du stage les concerts conclusifs. On y vient en foule, pique-nique à la main pour l’entracte à la tombée de la nuit, on est Américains ou Européens – Espagnols, Allemands, Français de Paris, Néerlandais – et on se laisse aller au passionnant parcours vocal où, du rire aux larmes, l’on va des madrigaux du XV° aux opérettes de XX° en passant par les chefs-d’oeuvre de Rameau, Bach, Brahms, Poulenc ou Offenbach !

Sans citer toutes les cantatrices entendues l’autre soir, on se plaira à souligner qu’Anne-Marie Blanzat a su donner à l’ensemble une tenue stylistique irréprochable, avec le secours de ses deux assistants répétiteurs, le Dijonnais Bruce Grant et la Chalonnaise Sacha Navarro-Mendez qui ont fait sonner dans la collégiale un piano quasi-orchestral. 

Révélation

Morgane Paquette à Thil (Photo MH)
Dans cette aventure musicale exceptionnelle, on soulignera le don de "fantaisiste" de la mezzo Claudine Paillous (irrésistible dans La Cigale et la fourmi d’Aboulker comme dans l’air de boulotte d’Offenbach), l’ampleur dramatique de la voix de la soprano lyrique Catherine Gasse (Ballade de Senta du Fliegende Holländer en Wagner) et la manière dont Lucie Rancillac s’est jouée vocalement des sortilèges contrapuntiques d’un extrait de la Passion selon saint Mathieu de Bach.

Mais on nous permettra de rappeler aussi le choc que fut cette rencontre avec la soprano colorature Morgane Paquette (1), absolument époustouflante de vérité émotionnelle tant dans le lied Er ist’s de Wolf que dans l’éblouissant air des clochettes de Lakmé de Léo Delibes. Anne-Marie Blanzat lui offrira prochainement la chance d’un récital. On s’y retrouvera tous avec bonheur.

Michel HUVET

(1) Morgane est la petite-fille du grand musicologue et compositeur Daniel Paquette, décédé en début d’année. Elle a tenu, sans doute à sa mémoire, à commencer sa performance de Thil par un somptueux et très délicat air tiré d’Hyppolite et Aricie de Rameau dont précisément Daniel Paquette était un spécialiste.


lundi 18 août 2014

NUITS DE L'ABBAYE : SIX VOIX ENCHANTENT SAINT-SEINE L'ABBAYE

Les quatre solistes de 4anima (Photo X)

 Tandis que rien de culturel, mais vraiment rien, n’est proposé à Dijon en cette période aoûtienne – si ce n’est la programmation de la suppression de l’Orchestre Dijon-Bourgogne –, l’Auxois brille de mille feux musicaux de très haut niveau. On se croise dans les abbatiales ou cours de château, dans les églises ou les granges et c’est à chaque fois un enchantement, le très haut niveau, le partage d’éblouissements. Musicales en Auxois, Nuits de l’Abbaye (Saint-Seine), Académie de Thil, concerts au château de Bussy ou à Flavigny…

J’ai dit Saint-Seine l’Abbaye. Là-bas, aux confins de l’Auxois et du Pays de la Seine, quelques grands musiciens – Yvan et Claude Stochl, le chef d'orchestre Philippe Forget – se sont lancés en 2013 dans la création d’un festival autour du 15-Août. Ce fut Schubert l’an dernier. Cela a été un festival d’art vocal cette année, sous le joli titre de Chantons sous les pommiers, avec des artistes de très haute qualité, en particulier le groupe vocal féminin 4anima (1) qui, renforcé de deux voix d’ange (2), a donné en première audition un petit chef-d’oeuvre de Philippe Forget, Specchio/Miroirs.

Une expérience inouïe

Dans la majestueuse abbatiale de Saint-Seine, quel événement ! On venait d’entendre des madrigaux italiens de la Renaissance et voilà qu’arrivaient, sur les poèmes de Louise Labbé et de la vénitienne Gaspara Stampa, des vitraux sonores, des vertiges de sons flûtés, une composition d’ajourd’hui et d’hier, sans datation possible, des échos de douleur et de combats féminins sur de longs continuos à l’aigu. Les voix se mouvaient dans le choeur, une époque répondait à une autre, et le coeur des auditeurs vibrait malgré lui à l’unisson de cette musique vocale très modale. Une expérience inouïe.

Claude Stochl et Philippe Forget (Photo X)
Cette création répondait en tout cas fort bien à ce qui l’entourait : trois choeurs pour voix de femmes de Rossini, les madrigaux de Nasco et Marenzio, La Nuit et Le Réveil de Chausson, et le toujours très rêveuse Mort d’Ophélie de Berlioz. Au piano, Claude Bazenet-Stochl pouvait se dire que "son" festival à Saint-Seine, cette fois, c’était gagné !

Michel HUVET




(1) Anne-Emmanuelle Davy, Sophie Poulain, Caroline Gesret, Audrey Pevrier
(2) Christel Boiron et Isabelle Deproit


mercredi 13 août 2014

ORCHESTRE DIJON-BOURGOGNE : LA RÉSISTANCE EST EN MARCHE


L'ODB en concert à Cluny (Photo JSL)


Etrange silence que celui des élus – majorité ou opposition d’ailleurs – dans le drame social et culturel que vit Dijon avec la fin programmée de son orchestre. Les Ponce-Pilate se contentent de laisser monter au feu le directeur de l’Auditorium qui, le malheureux, verse une larme de crocodile sur la mort programmée des musiciens. Du coup, dans ce silence assourdissant des responsables, les malheureux membres de l’ODB montent au feu avec l’énergie du désespoir.

Le président Gérard Cunin répond d’abord à la larmoyante oraison funèbre de la direction de l’Opéra de Dijon par une citation de La Rochefoucaud selon laquelle "l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu" et Daniel Weissmann, le directeur de l’ODB, se défend de toute mauvaise gestion et rappelle fort justement que la sentence mortelle ne date pas d’aujourd’hui : "Se souvient-on dans quel état de crise sociale majeure était cet orchestre en 2009 quand il a fallu reconsidérer son projet artistique et son avenir ?"

 Rien ne serait arrivé si ...

Remontons donc le temps. Souvenons-nous qu’un orchestre a toujours existé à Dijon, avec des musiciens fournis pour la plupart par le conservatoire et dont le propos était surtout lyrique – opéra – et symphonique : du temps d’André Ameller, la Société des Concerts du conservatoire assurait, avec quasiment les mêmes musiciens, la partie symphonique et pédagogique et le Théâtre pouvait se permettre de jouer quatre opéras et six opérettes par mois !

Et puis vint l’Auditorium. Tout allait pour le mieux tant que Jean-Claude Wambst était à la barre. L’élection d’un nouveau maire – lequel avait combattu l’auditorium pendant ses années d’opposition – fit partir celui qui avait réussi à lancer l’Auditorium de Dijon dans le grand bain des salles illustres européennes. La seule question était dans le maintien, ou non, de la structure "opéra" telle qu’elle existait et dont la mairie ne voulait plus. Pourtant, si elle n’était pas tombée malade, le nouvelle directrice, Claude Meiller, eut sauvegardé musiciens, choristes et danseurs – elle avait de grandes ambitions en matière de chorégraphie – et rien ne serait arrivé. La gabegie d’Olivier Desbordes puis l’arrivée de Laurent Joyeux changèrent les perspectives.

"Or ça, pas question !" 

Déjà, le très pro-Bazin Thierry Caens, avait proposé ses services pour tenter d’unir la carpe et le lapin. Dans une interview qu’il m’avait accordée au début des années 2000 dans Le Bien Public, il posait justement le problème : "Si on fait le mauvais choix de faire tout le lyrique à l’Auditorium, Dijon disparaîtrait des scènes lyriques de province, et c’en serait fini de l’emploi pour les choristes et les musiciens". Et il ajoutait, lisez bien : "Or ça, pas question !" Devenu par la suite pro-Rebsamen, le même trompettiste-oenologue entérina sans broncher la disparition-externalisation de l’orchestre de l’Opéra, quitta même la structure dont il assurait la direction et lui, le musicien, se contenta du titre d’"ambassadeur culturel" que le maire lui octroya, sans rire.

Arriva cette affaire du Ring de Monsieur Joyeux. Une superbe occasion, pour la mairie, de porter l’estocade à cet ODB dirigé par des proches de l’UMP comme elle avait porté l’estocade, et pour les mêmes raisons, aux mondialement célèbres Fêtes de la Vigne. Le Ring, c’était manger le budget de toute une saison pour l’ODB. Le piège était là. L’ODB s’y jeta, hélas, en refusant de jouer le Ring pour ne pas compromettre le reste de sa saison. La municipalité sauta sur l’occasion, amputa la subvention pour la reverser à Laurent Joyeux qui rameutait des musiciens de toute l’Europe pour faire quand même son Ring et laissant l’ODB dans une misère dont on voit aujourd’hui les stigmates.

Cet abandon, ce silence des responsables, ce scandaleux désintérêt politique, ce lynchage antisocial, cette liquidation en trompe-l’oeil auront des conséquences que ceux-là même qui s’en lavent aujourd’hui les mains auront à payer, cher, demain. D’ici là, pétitionnons, et lançons – pourquoi pas ? – un appel au mécénat sur un site approprié.

La Résistance culturelle ne fait que commencer. Emmanuel Krivine, Régis Pasquier ont déjà lancé leur appel. J’y ajoute le mien.

Michel HUVET



samedi 9 août 2014

MUSICALES EN AUXOIS : ENTRE DEUX JOURS...



Les Musicales en Auxois forment un festival assez unique en France. Franck-Emmanuel Comte mélange à loisir les genres, les époques et les instrumentations tout comme il mélange les lieux patrimoniaux ou naturels de son cher Auxois. Après la magistrale interprétation de la Messe solennelle de Mozart à l’abbaye de Fontenay, imaginez le rendez-vous qui a eu lieu quelques jours plus tard au château de Sainte-Colombe, à 9 h du matin, dans la cour que caressaient déjà les rayons d’un chaud soleil.

Entre deux jours

70 personnes étaient là, croissant et café en mains, avant de laisser monter, lentement, des sons venus du fond des Indes, un sifflement doux comme un zéphyr issu d’un tour de vase en cristal, une "pédale" grave venue d’un harmonium du Radhjastan, quelques mélodies d’oiseaux venus d’une flûte indienne à cinq trous, quelques rythmes issus de tambours en peau, des tâlas, qui venaient de loin, de si loin…

Et cela a duré ce que durent les prières : un temps hors du temps. Miracle obtenu par Patrick Rudant, le flûtiste, et ses compères Jérôme Canet et Martin Labbé. Dans la cour du château d’Arcade, on respirait un autre air, on s’allégeait de mille fardeaux inutiles, on laissait enfin au repos une raison qui n’avait plus lieu d’être.  En repartant, on était stupéfait de découvrir que cet ensemble au joli nom d’Entre deux jours avait participé au CD enregistré par F.-E. Comte et son Concert de l’Hospital, les échos de l’Inde se mêlant avantageusement aux Leçons de ténèbres de Couperin !

Retrouvailles

Du coup, pareils concerts – mais il faudrait un autre nom pour définir ces lieux de retrouvailles mélophiliques – forgent une identité à un public très varié, lui donnent des repères amicaux et des complicités secrètes. Touristes ou habitants de l’Auxois, peu importe, ils se retrouvent ainsi de jour en jour, de soir en soir, à Bussy ou à Grosbois, à Semur ou à Montbard, à Sainte-Sabine ou à Marigny-le-Cahouet, et sont tour à tour tziganes d’aujourd’hui ou courtisans de la Renaissance, swinguant ici avec Rameau ou chantant là avec Rossini.

On revit.

Michel HUVET



lundi 4 août 2014

FONTENAY : LES 20 ANS DES "MUSICALES EN AUXOIS"



L’Auxois est particulièrement terre musicale bénie. Pas un coin de ce paradis qui n’ait son festival ou ses concerts de prestige. Etonnant foisonnement en ce milieu dit rural au moment où la capitale, Dijon, se morfond en attendant la mort de son orchestre et n’ayant rien de musical à s’offrir en ces temps estivaux.

Après le bouleversant triduum pianistique et slave de la Grange du Prieuré à Vitteaux, voici revenu le temps des Musicales en Auxois, festival de très haute valeur musicale qui vient de fêter sa vingtième édition dans le cadre unique de l’abbaye de Fontenay éclairée de 1 000 chandelles.

Franck-Emmanuel Comte et l'Auxois 


Franck-Emmanuel Comte a offert au public très nombreux une version très prenante de la Messe sonnelle en ut de Mozart avec les choeurs et l’orchestre baroque de la formation qu’il a créée, le Concert de l’Hostel-Dieu. Aujourd’hui internationalement connu comme chef et instrumentiste baroque, habitué des grands festivals européens, Franck-Emmanuel Comte est au sommet de son art.

S’il continue à s’investir ainsi dans l’Auxois, c’est qu’il sait compter sur une association présidée par Annick Riquet et dont les bénévoles font des merveilles pour lui. C’est aussi qu’il n’oublie pas être originaire de l’Auxois ni qu’il fit ses premières classes musicales à l’université et au conservatoire de Dijon.

Des croissants à Sainte-Colombe 

Alors, dans ce lieu exceptionnel, Mozart fut tout aussi exceptionnel. Et la direction ferme, exigeante, haletante même, de Franck-Emmanuel Comte a donné à cette Messe des allures de Requiem, des sonorités haendeliennes, des soubassements tragiques et prémonitoires sous l’apparence glorieuse. On ne sait pas comment Constance Mozart – pour qui cette partition fut écrite – a chanté l’Et incarnatus est, très longue contemplation de l’Enfant par sa Mère, mais Heather Newhouse-Peraldo a su le faire avec une émouvante simplicité et des vocalises touchantes par leur vérité.

Le festival se poursuit durant dix jours encore, et nous allons sans doute nous retrouver nombreux le jeudi 7 août à 9 h du matin sous le marronier au sommet de Sainte-Colombe où, en dégustant café et croissants, un harmonium du Rajahstan accompagnera flûtes et percussions pour saluer le soleil se levant sur l’Auxois.

Michel HUVET