lundi 26 septembre 2011

LA MAÎTRISE DE DIJON À L'ABBAYE DE FONTENAY

La Maîtrise de Dijon dans le choeur de l'église de Fontenay

Il y a des soirs d’automne où l’été reste présent. Les feuilles des arbres embaument, la lune jette des clartés ignées sur les ombres forestières, et le coeur est alors, déjà, en prière. C’est ce qui s’est passé l’autre soir à l’abbaye de Fontenay – qui célèbre cette année le 30° anniversaire de son classement au patrimoine mondial de l’Unesco – où la remarquable Maîtrise de Dijon a donné un "concert exceptionnel" tout entier consacré à la musique grégorienne et à la polyphonie classique.

Alain Chobert, le maître des lieux et de ces visages sonores tous tendus vers lui, n’a pas ménagé sa peine pour que les 600 auditeurs n’aient pas le temps de sortir de cet état d’oraison que les lieux avaient déjà installé. Pas d’entracte, rien qu’un long déroulé du répertoire des plus exigeant, du XII° au XVII° siècle, de la monodie processionnelle de l’Iste confessor à l’Exultate Deo de Scarlatti, les choristes quittant l’église abbatiale guider le public, aux accents du Gloria laus et honor hispano-gregorien, vers le cloître illuminé de 1 000 bougies.

Choeur d’hommes, jeunes femmes des Fiori Musicali, choeur d’enfants, tous entourés de virtuoses baroqueux comme Benoît Tainturier et Liselotte Emery (cornets), Jean-Michel Weber et Damien Froelich (saqueboutes), voire Matthieu Leguay à l’orgue discret mais si efficace : la perfection de la Maîtrise dijonnaise vient de son chef (1) qui a l’art de l’exigence pour rendre ces musiques sacrées totalement actuelles.

Ou plutôt totalement intemporelles à l‘instar de ce Salve Regina triste et grave de Viadana (à huit voix !) ou encore, ou surtout, de ce Populus meus, grégorien du Vendredi-Saint à la polyphonie de Bernabei, méditation désespérée aurpès de Celui à qui, sur la croix, plus personne ne répond… Alain Chobert laisse cette douce plainte se répandre en longs sillages murmurés. C’est inouï à ce degré d’intensité spirituelle.

Michel HUVET

(1) Et de son adjoint, Etienne Meyer




vendredi 23 septembre 2011

JEAN-PAUL II EN LIVRES : SEUL ALAIN VIRCONDELET...



On sait que l’Église vient de béatifier Jean-Paul II, qui fut non seulement pape mais surtout un des plus grands saints du millénaire qu’il a conclu. Beaucoup de livres sont parus qui nous ont raconté des anecdotes sur sa vie, l’ont critiqué ou ont tenté de le comprendre.

Telle n’est pas la démarche d’un de nos plus grands écrivains – ses ouvrages sur Saint-Exupery ou Balthus sont des chefs-d’œuvre tout autant que ses romans – : il se nomme Alain Vircondelet. Cet éminent professeur est souvent venu dans les salons du livre de  Dijon du temps où ne pesait pas sur lui l’ostracisme des jaloux boursicoteurs du livre et des marionnettistes des fêtes du livre qui voudraient être les seuls à s’accaparer un sujet, en l’occurrence tout ce qui touche au Vatican (les ragots font vendre) ou au défunt pape polonais.



Alors je voudrais, moi, rendre hommage à deux des meilleurs livres parus sur Jean-Paul II et qu’a signés Alain Vircondelet de sa plume agile et fine, avec son sens aigu de l’analyse juste et de la vérité absolue. Lisez son Jean-Paul II ; la vie de Karol Wojtyla (1), vous en ferez très vite votre livre de chevet. Lisez ensuite Saint Jean-Paul II (2), vous aurez du mal à ne pas avoir constamment ce livre dans votre serviette ou votre sac à main.

La rigueur d’Alain Vircondelet, son talent, le laissent à l’écart des grands médias, lui-même ne faisant rien d’ailleurs pour être broyé par la peopolisation outrancière de notre République des Lettres. On a simplement parlé de lui quand, outré d’avoir été plagié par un cinéaste, il a engagé une procédure pour que son droit soit reconnu : bourré de citations entières, le scénario de Séraphine – qui a eu 7 césars ! – est à l’évidence une copie du beau livre d’Alain Vircondelet, Séraphine, de la peinture à la folie (3).

Lisez Alain Vircondelet, vous voulez bien ?

Michel HUVET

(1) Flammarion (2) Plon (3) Albin Michel



mardi 20 septembre 2011

SAINT-PHILIBERT DE DIJON : PIQÛRES DE RAPPEL

(Photo DijOnscOpe)


Les Journées du Patrimoine à Dijon ont révélé de nouveaux trésors, depuis les restes découverts après les fouilles archéologiques effectuées avant les travaux de construction du tramway jusqu’à cette église Saint-Philibert, réouverte enfin à des expositions d’art.

Les médias locaux, toujours aussi peu réfléchis, ont tenté de dire que c’était un lieu “roman” bien réhabilité, et hop, le tour était joué. Il convient de rappeler d’abord que cette église est une de deux seules nefs romanes complètes que nous ayions en France, l’autre étant Saint-Trophime en Arles. Ensuite que cette restauration et ouverture de Saint-Philibert à l’art ne date pas de 2011 et n’est pas due qu’à la seule initiative de l’actuelle municipalité.

C’est dès le début des années 80 du XX° siècle, sous le règne de Robert Poujade, que Saint-Philibert fut réhabilitée, notamment grâce à l’adjoint à la Culture, Michel Grivelet : de très importantes expositions d’art contemporain s’y déroulèrent des années durant, jusqu’à ce que les experts interdisent la fréquentation du lieu pour des raisons de sécurité : l’église ayant servi de grenier à sel après la Révolution française, ses piliers en regorgeaient et la pierre en était gonflée jusqu’à menacer de rompre.

Il fallut fermer le lieu. De savants docteurs ès pierre se penchèrent sur la malade, on y injecta des produits divers et variés susceptibles de guérir l’endroit de sa salinité. Il est vrai que l’actuel maire et son équipe décidèrent très tôt de poursuivre ce sauvetage. C’est fait. Merci.

Restera – et là aussi il y a urgence – à soigner l’enveloppe de l’église. Des touffes de hautes herbes percent sa toiture en maints endroits, des pierres sculptées tombent sur les passants ou s’effritent, les inscritions latines sculptées sur ses côtés sont dévorées par l’ussure et le vent, et son parvis encrotté mérite un peu plus de soins.

Michel HUVET

vendredi 16 septembre 2011

PRIMAIRES PS : LA POLITIQUE RÉHABILITÉE




Ce débat des six candidats aux primaires socialistes est, partout ce matin, commenté avec une mauvaise foi évidente. Rendez-vous compte : "Il n’y a pas eu d’éclat" dit l’un, obsédé par les coups bas et les petites phrases qui font désormais le miel des médias, occultant l’essentiel qui ne les intéresse plus. "Ce fut parfois ennuyeux" dit l’autre, qui doit se dire qu’un débat sérieux sur le fond ne va pas faire augmenter son tirage.

L’honnêteté intellectuelle oblige à dire que ce débat, qu’on aime ou pas les socialistes, a été d’une très bonne densité de réflexion politique. Cette présentation à six voix d’un programme discutable, mais plein d’envie de ne pas promettre de raser gratis, m’est même apparu comme susceptible de réconcilier une partie de l’électorat avec la politique. Enfin on est revenu au fond  ! Et cela a fait soudain un bien fou.

L’autre fait, c’est que ces primaires sont, en France, une grande première. Un bon point pour la démocratie. Dommage, pensera-t-on, que la droite n’ait pas fait la même chose : certes elle détient le sortant qui sera candidat à sa propre succession et qui veut que le silence règne dans ses rangs. Mais il eut été bon qu’elle fournisse elle aussi un débat de cette qualité entre les représentants de factions qui, même si elle le nie, existent bel et bien en son sein.

J’ai retenu aussi, de cette émission bien tenue par des journalistes anti-stars, la dignité avec laquelle chacun et chacune s’est exprimé, comme si la vie politique, enfin, se détournait du sensationnalisme et revenait à ses fondamentaux. Avez-vous remarqué qu’on a enfin parlé de ce que vivent les Français, de leur vie quotidienne, qu’on a parlé de de la jeunesse, qu’on a parlé de citoyenneté ? Le tout sans surenchère facile, sans démagogie excessive, sans invectives et sans anathèmes.

Enfin, il y avait dans tout ça, malgré tout, un petit côté télé-réalité : qui s’en sort vainqueur, qui sera le plus apte à affronter le président sortant au second tour de mai prochain ? Et là, en s’efforçant d’oublier nos sympathies naturelles, disons que Martine Aubry a paru la plus directe et la plus franche, la plus convaincue aussi. Juste derrière elle, François Hollande a été très bon, affirmant une autorité réelle, mais donnant malgré tout l’idée qu’il "surjouait", bien coaché par ses lieutenants. Et Arnaud Montebourg ? A part son inutile emphase finale, il a flatté bien des pauvres gens dans le sens du poil, ses yeux bleus faisant, si l’on ose dire, le reste !

Que près de 5 millions de Français aient regardé ce débat est aussi réconfortant : un signe que le pays ne va pas si bien que certains veulent le dire et que les Français ne sont pas si indifférents à la chose politique qu’on nous le fait croire ici ou là.

Michel HUVET






lundi 12 septembre 2011

ANDRÉ AMELLER : CENTENAIRE EN 2012



Dans moins d’un an, André Ameller aurait eu 100 ans. Oh, bien sûr, en ces temps d’amnésie organisée, à quoi bon évoquer la mémoire d’un musicien né en 1912 et décédé en 1989 ?

Il se trouve qu’André Ameller a été un musicien protée, un directeur de conservatoire novateur, un chef d’orchestre apprécié, un compositeur prolifique, un prophète de la musicothérapie, un défenseur des musiciens amateurs, un bousculeur de l’ordre établi. À Dijon où cet ancien contrebassiste de l’Opéra et des Concerts Lamoureux dirigea le conservatoire de 1953 à 1981, André Ameller en fit tout et d’abord un établissement de plus de 1 500 élèves à qui toutes les disciplines étaient offertes, jusques et y compris le jazz, le théâtre et la danse.

C’est ce directeur hors normes qui favorisa la création de la chaire de musicologie à l’université de Bourgogne. C’est ce professeur qui obtint la création de postes d’assistants spécialisés dans les écoles primaires. C’est cet organisateur qui parvint à multiplier les écoles de musique dans les villes moyennes de Bourgogne et du Jura (Lons, Chenôve, entre autres). C’est ce président national de la Confédération Musicale de France qui fit ouvrir à Toucy (Yonne) un centre de musicothérapie.

Le CNR de Dijon

Et puis, il y a mieux : André Ameller obtint après des années de bataille avec la mairie, qu’on construisît enfin un conservatoire digne de ce nom à Dijon : au moment où Olivier Messiaen s’en vint l’inaugurer (1982), le directeur qui avait tout fait et venait de partir à la retraite ne fut même pas invité : personna non grata, lui dit-on.

Alors, pour que justice soit rendue à homme, pour qu’hommage soit rendu au musicien, pour que soit réveillée l’action de ses "Amis", pour que Dijon donne enfin au directeur la place qu’il mérite dans la mémoire de la Ville, il convient de ne pas rater ce centenaire qui s’annonce.

Que tous les musiciens qui lui doivent tant commencent par se mobiliser. Je m’occupe du reste !

Michel HUVET




jeudi 8 septembre 2011

LA PSEUDO LIBERTÉ ILLIMITÉE




Il y a déjà un moment que je ressens douloureusement le processus de décomposition de l’individu et de la société : c’est la caractéristique de notre post-modernité.

Lors de la fête de saint Bernard, célébrée près de sa maison natale à Fontaine-les-Dijon le dimanche 4 septembre dernier, l’archevêque de Dijon, Mgr Roland Minnerath, a une fois de plus, et en s’appuyant sur l’éthique universelle, fustigé cette pseudo liberté de notre monde post-moderne, une liberté prétendument "illimitée".

Comme les forfaits téléphoniques, la liberté illimitée est évidemment une douce illusion, le triomphe de l’égoïsme et de toute barbarie. Oui, il convient de réensemencer le monde de ces valeurs dites chrétiennes qu’il a fait si bon brocarder et ridiculiser depuis un bon quart de siècle.

J’ai ainsi apprécié le courage de ce lecteur de La Croix qui écrivait depuis le Rhône dans le courrier des lecteurs de ce journal :

"Que faire ici-bas sinon jouir et profiter le plus possible dès lors qu’il n’y a plus ni vérité ni bien, qu’il n’y a plus ni raison d’être ni fin certaines de l’existence humaine ? Cela ne peut engendrer que le désespoir, la révolte, la violence ou le recours à l’alcool et aux drogues jusqu’à la manifestation de la barbarie elle-même. Non, il n’y a pas de systèmes miracles, ni révolution ou pseudo-réformes quelconques qui puissent enrayer en profondeur ce processus de décomposition. C’est à l’homme de bonne volonté, confronté à cet état limite de se convertir et de retrouver en lui les principes directeurs du sens spirituel de sa propre vie, sa vraie finalité et ainsi de pouvoir agir avec ce dont nous manquons le plus aujourd’hui : un supplément d’âme."

Mais l’âme, sait-on encore ce que ce peut être ?

Michel HUVET

vendredi 2 septembre 2011

MOZART ET LE MISERERE : CE N'EST PAS UNE LÉGENDE


Partition du Miserere (début)


J’ai dit ici, en août, avoir entendu un digne présentateur musicologue – c’était au festival de l’abbaye de Lessay où se produisait le choeur Arsys Bourgogne – affirmer que l’histoire selon laquelle le tout jeune Mozart avait copié de mémoire le Miserere d’Allegri "était une légende".

Or non, ce n’est pas une légende. À preuve, cette lettre de Léopold Mozart, le père, en date du 14 avril 1770, postée à Rome (Mozart a 14 ans) et adressée à Mme Mozart à Salzbourg. Je lis : "Tu as peut-être déjà entendu parler du célèbre Miserere de Rome, tellement estimé que les musiciens de la chapelle ont l’interdiction, sous peine d’excommunication, de sortir la moindre partie de ce morceau, de le copier ou de la communiquer à quiconque ?"



Et Léopold poursuit : "Eh ! bien, nous l’avons déjà (1). Wolfgang l’a écrit de tête, et nous l’aurions envoyé à Salzbourg avec cette lettre si nous ne devions être présents pour son exécution. Comme c’est un des secrets de Rome, nous ne voulons pas le confier à des mains étrangères ut non incurremus mediate vel immediate in Censuram Ecclesiae" (2).

La plus belle version connue de ce Miserere est à mettre au crédit d’un disque de la Maîtrise de Dijon dirigée par Alain Chobert. À écouter et réécouter.

Michel HUVET

(1) Souligné dans le texte
(2) Pour ne pas encourir, directement ou indirectement, la censure de l’Église

jeudi 1 septembre 2011

CERISY CONTRE "LA DÉFAITE DE LA PENSÉE"

Terminant à peine le dernier petit essai d’Alain Finkielkraut, La Défaite de la pensée (1), je pourrais perdre tout espoir quant à l’évolution humaine. Même si le philosophe a des analyses pertinentes, il s’emberlificote dans des digressions analytiques qui laissent l’impression que rien ne va plus aujourd’hui quand tout allait bien jadis, et que notre époque est celle qui met sur le même plan les prophéties de Victor Hugo et le dernier tube d’un rockeur.

Alain Finkielkraut


Quand Finkielkraut dit que "l’individu post-moderne a oublié que la liberté était autre chose que de pouvoir changer de chaîne", il n’a pas entièrement tort mais il est clair que son jugement est aussi celui de quelqu’un de profondément pessimiste et qui fait trop peu confiance à l’homme.

Je lis en même temps un gros livre publié chez Herman, De Pontigny à Cerisy, des lieux pour penser ensemble, qui me rappelle combien la Bourgogne, avec les décades de l’abbaye de Pontigny, a compté dans la nourriture de la pensée au début du XX° siècle, comme si les Copeau, Gide, Desjardins et autres "NRF" avaient anticipé les malheurs qui allaient leur survivre. Et, lisant les actes du colloque Pontigny, Cerisy (1910-2010), un siècle de rencontres au service de la pensée, j’en retire que rien n’est perdu pour la pensée.

Michel Wievorka


Surtout quand je lis Michel Wievorka, grand défenseur des sciences sociales, qui n’hésite pas à faire le même diagnostic que Finkielkraut mais pour en conclure le contraire. "La vie avec la pensée, dit ce dernier, cède doucement la place au face-à-face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie". Et le premier dit, lui : "Nous sommes dans une période où la vie des idées se recompose et où s’ébauche un espace théorique ou général de débats".

Les sciences sociales sauveront-elles la philosophie ?

Michel HUVET

(1)  Folio, essais, 2010