(Photo Michel Huvet) |
Tout jeune débutant dans le journalisme et la critique musicale (classique), je me suis retrouvé confronté à Johnny Hallyday un soir de 1967 au théâtre de Dijon. J'ai raconté cela dans mes Souvenirs d'un pisseur d'encre. Voici ce récit...
Mon rédacteur en chef, en ces temps lointains où un
rédacteur en chef ignorait encore ce que pouvaient signifier rock ou pop music,
avait cru bon, un soir de 1967, de m’envoyer assister à un
« récital » du nommé Hallyday, prénom Johnny, dont les gazettes
avaient déjà fait une idole en ces années où elles finirent pourtant toutes par
tomber. J’étais, si je me rappelle bien, dans les coulisses à côté de la bête,
bardé d’un énorme « 6/6 » affublé lui-même d’un flash digne des films
de Renoir, lui-même relié par un fil noir en accordéon à une énorme batterie
qui pendait le long de mon épaule. La bête ânonnait des complaintes si
bruyantes que mes connaissances mozartiennes ne m’étaient guère utiles en la
circonstance et je la vis jeter soudain une chemise – plus serpillière que
liquette d’ailleurs – à la foule de jeunes égéries dépoitraillées qui délirait
sur les fauteuils et au balcon d’un vieux théâtre à l’italienne qui n’avait
évidemment pas été conçu pour cela.
Une page d'insultes !
Dans le journal, je racontai cela sans ambages. L’idole, qui
avait sommeillé à l’Hôtel de la Cloche, alors le nec plus ultra de l’hôtellerie
dijonnaise, appela le Journal qui avait lors pignon sur place presque en face,
et promit de venir illico me faire ma fête. Je n’en menai pas large, je
l’avoue, à peine rassuré par les braves ouvriers du Livre qui, au
rez-de-chaussée, avaient préparé des barres de plomb pour fortifier mes
défenses. Et le Journal fut, dès le lendemain, assailli de lettres féroces,
analphabètes et sans nuances, qui me vouaient aux gémonies : « Si ça
se trouve, m’écrivait ainsi un yéyé, tu es bâti comme une bouteille de Sylvaner
et tu n’oserais pas l’enlever, toi, ta chemise, ah, ah ! » Bref : Le Bien Public, sous la pression
populaire, fut contraint de publier, dans la semaine qui suivit, deux pleines
pages de « lettres de lecteurs », la page de gauche me condamnant à
mort, la page de droite me louant d’avoir osé dire tout haut que cette
« musique de sauvage » n’avait rien à voir avec de la musique. J’en
sortis penaud, fâché avec une sœur hallidayenne, mais auréolé d’une gloire
populaire qui mit deux générations à décroître !
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