La dernière scène du Crépuscule des Dieux (Photo Gilles Abbegg) |
Rideau retombé une dernière fois, on prend
le temps de se remémorer ce Ring. Et
de relativiser aussi l’invraisemblable et malhonnête critique lue dans un
hebdomadaire jadis sérieux. En la lisant, je me suis cru dans Tintin débarquant
en Afrique noire : si j’ai bien compris, on ne saurait, chez les provinciaux
que nous sommes et qui n’ont évidemment aucune culture lyrique, jouer du
Wagner, encore moins le Ring. Bref,
Wagner chez les ploucs. Passons.
Ce Wagner-là, tel que coupé, tel que mis en
scène, tel que précédé de deux préludes dits contemporains, eh! bien oui, il
est génial. Et si Richard Wagner lui-même avait été présent début octobre à
l’Auditorium de Dijon, je ne doute pas qu’il eut salué la performance de
l’Opéra de Dijon, j’en suis persuadé. Et j’en connais autant sur Wagner et la
manière dont il eut ressenti ce que d’aucuns ont appelé une “imposture” que les
savantissimes docteurs de la loi musicale.
Alors oui, c’est vrai, une curieuse
dramaturgie. Parlons-en. Laurent Joyeux et Stephen Sazio ont réalisé un Ring débarrassé du pathos
mythico-germanique pour ramener les personnages, Wotan compris, au rang des
promeneurs solitaires façon Rousseau. Leur Siegfried a toute l’innocence
sauvage de celui qui est “bon naturellement” et que la société va corrompre (Götterdämmerung) jusqu’à ce qu’il en
meurt. Brünnehilde est la femme qui sait tout, qui comprend tout, y compris la
pensée inconsciente de Wotan : elle sacrifiera sa vie pour que le monde soit
rédimé. Tout cela dans une atmosphère de conte, d’arbres renversés, de livres
et de cahiers effeuillés à tous les vents – savoir inutile, sciences
inefficaces, études notariales absconses.
Le réveil de Brünnehilde au 3° acte de Siegfried (Photo Gilles Abbegg) |
Wagner trahi ? Non, c’est le sens de son
message, c’est ce que dit sa musique, et c’est ce que lui fait dire Daniel
Kawka d’une baguette clairvoyante et avec un orchestre aussi lucide que
limpide. Cette musique de visionnaire est chargée de la couleur à laquelle la
dramaturgie a volontairement renoncé. Cette musique se développe, irradie et
enflamme toutes les scènes naturelles (Rhin en vagues, Walhalla en feu,
arc-en-ciel, forge, chasse, tempêtes, chevauchées) que le metteur en scène a
laissées dans l’ombre, les personnages demeurant quasi-immobiles comme s’ils
rêvaient ce que décrit cette musique totalement évidente.
Cela peut effectivement dérouter
quelques-uns des pseudo-spécialistes, décontenancés par cette lecture structurelle d’une oeuvre hors du
commun qui les a obligés à se nettoyer eux aussi les oreilles et à se
débarrasser de leurs vieilles habitudes philosophico-musicologiques. Ce qui compte,
c’est que les auditeurs et spectateurs de ce Ring, – souvent à leur première
écoute de Wagner voire leur première rencontre avec le monde lyrique –, en
aient saisi spontanément, grâce à cette vision mozartienne, la modernité et la
force poétique.
Michel
HUVET