Elle s’appelle Mme Francine Christophe.
Elle fut déportée depuis Drancy. Rescapée, elle passe son temps de vieille dame
dans les écoles à tenter de témoigner devant des enfants abasourdis. Elle vient
d’écrire à Bruno Frappat qui, dans La Croix, a rapporté de larges extraits de
sa lettre. Et cela bouleverse les lecteurs.
La crise, – non pas la financière, mais
l’autre, celle de la société tout entière, de sa jeunesse abandonnée et de ses
valeurs piétinées –, Francine la rescapée en donne quelques exemples concrets.
Lisons-là.
« J’ai souvent écrit à des journalistes, hélas, dans le vide. Hors du
sérail, point de salut. Donc, hier, grande cérémonie à Drancy, pour
l’inauguration du nouveau mémorial. Présence du président de la République.
Normal. Discours du président de la République, normal.
« Nous étions là une poignée de survivants, peut-être vingt. Les
ministres présents ont eu droit à quelques mots. Des adolescents aussi, puisque
cette présidence est sous le signe de la jeunesse ; mais nous, les vieux
enfants rescapés, rien ! Pas un regard, pas un sourire, pas une poignée de
main. Au dépôt de gerbe devant le wagon, le président, encore des
adolescents ; mais un survivant ? Non. Ce n’est pas grave, n’est-ce
pas, puisque très bientôt nous aurons disparu, comme on dit gentiment…
« Autre sujet qui me met en colère. Les écoles, pour lesquelles on
demande des moyens, encore des moyens. Mais personne n’ose prononcer le mot
discipline. Pourquoi sommes-nous revenus, quelques enfants survivants (j’avais
presque 12 ans), ceux qui n’ont pas été assassinés tout de suite ? Parce
que nous avions été élevés avec rigueur et discipline. Cela nous avait rendus
forts. Notre survie a été une forme de résistance.
« Je témoigne depuis 1995. Je vois entre trente et cinquante écoles
par an. Avec une moyenne de deux cents enfants par témoignage. Je vois donc
plus d’enfants, de professeurs, de proviseurs, que n’importe quel inspecteur.
Trop de professeurs font ce métier sans vocation : ils me le disent. Trop
de garçons issus de l’immigration n’acceptent pas d’être notés par des femmes.
Trop d’enfants français « de souche » ont des parents qui ont peur
d’eux et laissent tout passer et ne respectent pas le professeur… devant les
enfants parfois. Trop de parents de l’immigration sont indifférents quand ils
ne sont pas simplement opposés (et ne se déplacent pas si les professeurs le
demandent). Trop de principaux ou de proviseurs sont des
“Messieurs-Pas-de-Vague”.
« Nous, les rescapés, élevés dans une violence inqualifiable,
retrouvant après-guerre un pays qui ne nous attendait plus et n’avait rien
prévu pour nous, nous, les rescapés n’avons pas mal tourné. Lorsque je regarde
mes camarades, je suis fière de nous. Cela, je le dis dans les écoles, et ça
passe bien. Pardonnez-moi de vous ennuyer. »
Une fois encore, merci à Bruno Frappat ... et à Francine Christophe !
Michel HUVET
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