Elle n’était qu’une simple meunière,
là-haut, en Cotentin, un petit moulin qu’éclairaient peut-être parfois, en
clignotant, les lueurs du haut phare de Gatteville. Marie Ravenel, toute jeune
encore, les mains encore blanches des farines accumulées sous sa meule, la
grosse roue pleurant ses gerbes d’eau à peine arrêtée, prenait un papier et un
crayon et écrivait des vers.
On était au XIX° siècle, et Saint-Père
Eglise un tout petit chef-lieu de canton de la Manche. Et Marie écrivait :
Hélas ! ainsi tout pleure dans la vie ;
Ainsi toujours, par un sentier de maux,
Pauvre ruisseau ! la nature flétrie
Court au néant plus vite que les flots !
Le moulin de Marie est aujourd’hui
restauré, ouvert aux visites, et son guide enthousiaste s’est mis lui aussi à
faire tourner son moulin et produire à l’ancienne une farine délicate. Sous le
toît de chaume, une salle de classe qui eut pu être celle des enfants de Marie
Ravenel, fascine les enfants d’aujourd’hui par les souvenirs de pleins et de
déliés, d’encriers évasés et de cartes de géographie jaunies.
Et la poésie de Marie ? Elle survit, grâce
à la réédition de ses oeuvres complètes, Poésies et Mémoires, parue en 1890 à
Cherbourg. On y apprend que Lamartine, le poète bourguignon, reconnut en Marie
Ravenel un pair en art poétique, sacré compliment pour la toujours jeune
meunière. Elle fut si touchée par l’accueil de l’auteur du Lac qu’elle écrivit
un poème en son hommage au début de son livre :
Dans la nuit de l’oubli, comme elle,
solitaire,
Ma Muse, avec l’honneur d’un éloge,
naguère,
Reçut du grand poète un regard
bienveillant.
Mon coeur de ce beau jour conserve la
mémoire.
Ce magique regard m’a fait rêver la gloire,
M’a fait oublier mon néant.
Il y a quelque chose d’émouvant à
réentendre ainsi, en ces temps de médiatisation ridicule et de crise
identitaire, battre des coeurs avec de telles rimes.
Michel HUVET
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