Pour lui, Maurice Voutey, le 8 Mai est une
date floue, un anniversaire qui jamais ne l’a concerné. Ce 8 Mai 1945-là, en
effet, il était à Dachau, occupé à survivre au milieu du typhus et de la faim,
l’oeil fixé sur un kapo mal embouché. Et ce 8 mai 2012, il l’a raté de quelques
jours, la mort l’ayant rejoint le 2 mai, tirant ainsi le rideau qu’elle avait
laissé ouvert pour lui durant 67 ans.
Maurice Voutey, l’enfant du quartier
dijonnais de la "commune libre Berbisey", était étudiant à l’École normale de la
rue Charles-Dumont quand, en 1942, les occupants nazis fusillèrent pour
l’exemple quatre de ses camarades. C’en fut trop. Le jeune Maurice entra illico
dans la Résistance. Dénoncé, il fut arrêté, emprisonné puis transféré à Drancy
où, dans des wagons à bestiaux, un train d’enfer l’emmena à Dachau et dans les
camps du Neckar.
Comment fit-il pour y survivre et en
revenir ? Il l’ignora toujours, mit ça sur le compte de chaussures à sa taille,
sur une santé sans doute plus robuste que celle de bon nombre de ses compagnons
en pyjama rayé. Mais il n’oublia jamais son retour à Dijon, dans son école : on
ne l’attendait plus, on n’avait pour les déportés qu’un regard de commisération
lointaine, un déporté comme lui faisait un peu peur aux planqués de la
collaboration.
Maurice Voutey devint historien,
professeur. Compagnon de route des affidés de Thorez, militant de toujours et
pour toujours, il accompagna les aventures politiques de ses amis pour que
jamais on oublie l’horreur concentrationnaire et comment l’humanité avait pu en
arriver là. Il publia des ouvrages sur cet univers – on l’a lu jusqu’au Japon –
et comme il avait une sacrée plume, il publia aussi des récits de son aventure,
des mémoires inavouables en forme de roman – ainsi apprit-on que dans les années
90 il croisait encore, rue de la Liberté, celui qui l’avait dénoncé en 1944 –
et raconta son quartier Berbisey dans un livre superbe et sans équivalent.
Maurice Voutey fut aussi, toute sa vie de
survivant, un de ces combattants de l’ombre qui jamais ne baissent les bras. Il
était encore, ces derniers mois, président national délégué de la FNDIRP
(Fédération nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes) au sein
de laquelle il côtoyait les "héros" grâce à qui la France un jour se libéra du
joug nazi. Je n’oublierai pas avoir pu connaître, grâce à lui, des personnages
comme Maurice Kriegel-Valrimont, Pierre Meunier, Lucie et Raymond Aubrac, et même le "libérateur" de Paris, le colonel Rol-Tanguy. C’était à Champigny-sur-Marne, pour les 50 ans
de la Libération. Rol-Tanguy, toujours géant malgré ses 90 ans, me serra la
main et me dit, au garde-à-vous : "S’il faut recommencer demain, je suis prêt"!
Et puis Maurice Voutey, c’était aussi l’amitié
toujours offerte, sans discrimination, c’était la chaleur d’une âme aussi
humble que rare, la classe d’un homme qui jamais ne baisserait les bras et qui,
chaque jour, militait pour l’honneur contre la déréliction. Il avait cosigné l'appel
du 8 mars 2004 intitulé Créer
c'est résister. Résister c'est créer avec d'anciens grands résistants
comme Lise London, Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Daniel Cordier, Germaine
Tillion ou Maurice Kriegel-Valrimont. Dans ce document, les signataires
appelaient "les jeunes générations
à faire vivre et transmettre l'héritage" du Conseil national de
la Résistance (CNR) et "ses idéaux
toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle".
Il est mort dans la plus grande discrétion.
Et nous avons perdu ce qui devient de plus en plus rare en ces temps, "une
conscience", comme l’a écrit France-Soir.
Michel HUVET
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