Alain Bouchet en Ivan Ivanovitch (photo Philippe Blanc) |
Tout habitué de la chose
théâtrale sait ce que les Méfaits du tabac (Tchékov) ont produit comme
écoeurements divers : une farce bonne à être jouée par des amateurs de
patronage… Un petit tour dans la très improbable salle de l’ancien tribunal
semurois et tout a changé d’un seul coup de la baguette magique agitée par
trois compères chevronnés, le « clown » Alain Bouchet, le musicien
Gérard Pichon et le metteur en scène Philippe Berling.
Sans possibilité de jeux
de lumières, rien qu’avec l’utilisation subtile des lieux, sans rideaux ni
décors, rien qu’avec le jeu des acteurs, voilà que Tchékov s’est mis à nous
parler comme un auteur du XXI° siècle, Alain Bouchet se défaisant au fil du
monologue des masques de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin (celui du Kid) et
Gérard Pichon se délaissant du travesti pour dire, avec son piano et sa
perruque, toute la pesanteur symbolique, ici d’une femme rigide et austère, prof de musique et
rectrice de pensionnat, qui pourrait tout aussi bien être un pouvoir politique, tout ce dont le « conférencier du tabac » a
sur le cœur.
La farce se fait psychodrame
Alors voilà que la farce
se fait psychodrame. Le jeu, la mise en scène, la chorégraphie – oui, ce ballet
incroyable entre Ivan Ivanovitch et une mouche est d’une symbolique atrocement
révélatrice – se conjuguent pour nous offrir un miroir de tous nos
refoulements. Ivan, c’est aussi nous. Et quand le crescendo d’accords
pianistiques et de confessions inconscientes est à son terme, Ivan va
littéralement exploser – c’est ça, toujours, avec Tchékov, demandez donc à
l’Oncle Vania – et nous faire nous aussi expectorer ces non-dits comme pour une
libération bienfaisante.
Il n’y a donc que le
théâtre, ici exprimé sans une apparente simplicité scénique, pour parvenir à
tant d’émotion. Philippe Berling, sournoisement, sans qu’on ait l’impression
qu’il y a mis plus qu’un peu de savoir scénique, a trouvé le chemin qui va de
l’acteur au spectateur, et y retourne sans doute, pour le bien de tous. Tchékov
est comblé. Nous aussi.
Michel HUVET