(Photos Amaranta) |
Hanna, la petite-fille de la Vieille, est
là, enceinte de six mois, et elle tournoie sur la piste, ses grands yeux
tristes accompagnant les complaintes manouches nostalgiques qu’elle laisse
s’échapper de son accordéon. Et lui, le Fils, bafouille ses tourments, remue
ses souvenirs, annonce que le spectacle circasien va advenir, nous accompagne
dans la vérité des camps-volants, raconte sa vie, celle de sa mère campagnarde,
celle de son père le gitan au beau gilet jamais fermé, et sans cesse nous
annonce que, peut-être, elle va venir, la Vieille, lancer ses couteaux,
fourchettes et autres ustensiles pointus, parce qu’il faut bien vivre et
recueillir quelques pièces dans la gamelle.
Dans la roulotte, Hanna, puis le Fils,
supplient la Vieille de bien vouloir venir. Elle ne viendra pas tant qu’elle
n’aura pas murmuré un Notre-Père, retrouvé un canne improbable pour tenir ses
jambes flageolantes. L’accordéon l’appelle en longs accords graves. Et elle
arrive, dans un silence où c’est tout le monde manouche qui se résume, et elle
va nous en raconter, nous prendre à témoin de sa vie, de ses amours, de sa vie
avec lui, le Père, dont l’effigie trône dans un coin car elle ne saurait lui
parler, ou lancer des couteaux, sans qu’il soit là.
Et les couteaux, elle les lance, et Hanna
au milieu de la cible, ne tremble pas. Hanna et la Vieille ont des rapports
heurtés, mais on est bouleversé de les voir ainsi s’aimer plus qu’ailleurs on
ne le vit jamais. Et quand elle est tombée, s’est relevée, a relancé couteaux
et autres fourchettes, elle n’est plus là, elle s’envole en laissant Hanna
recevoir son héritage, elle s’envole dans un dernier rappel du mal que font les
pierres qu’on a toujours dressées contre elle et les manouches.
Martin Petitguyot, génial
Le Fils, la Vieille, ce qu’ils disent dans
leur spectacle de théâtre forain, c’est Martin Petitguyot tout seul. Texte, mise en
scène, jeu, il fait tout mais jamais, jamais, on ne se croit au spectacle.
Grâce à un jeu d’une authenticité, d’une vérité à couper le souffle, d’une
diction qui fait des mots des couteaux qui transpercent l’âme, Martin justifie
toute l’aventure manouche, tout le scandale de l’"autre" toujours chassé parce
que différent, fait ressurgir les fantômes des camps qui ont pu exister du côté
de Moloy.
Et nous, qui venons de vivre dans ces
familles, nous avons envie d’embrasser Hanna (Emma Ader, stupéfiante) et de chanter avec
elle une de ses complaintes. Spectacle, puisqu’il faut bien employer le mot,
qu’on regarde le souffle coupé, qu’on vit de l’intérieur, qui vous retourne et
justifie toute l’aventure dramatique !
Trouvez la roulotte d’Amaranta : vous ne
l’oublierez jamais.
Michel HUVET