André Héraud (debout) dans le rôle d'Arnolphe |
Il est parti au matin du Vendredi-Saint,
discrètement, pudiquement, ayant caché à tous l’accident survenu en décembre
précédent et qui l’avait vu fauché et roulé par une voiture quelque part dans
le quartier des Bourroches à Dijon.
André Héraud c’était le théâtre, l’histoire
du théâtre, c’était la Comédie de Bourgogne qu’il fonda dès qu’il fut en charge
de la classe d’art dramatique pour laquelle André Ameller l’avait débauché de
la Comédie-Française et du Grenier de Toulouse. André Héraud, c’était
l’enseignement d’une diction parfaite, l’art de dire et de faire exister ceux
qui disent, c’était l’exigence de la justesse.
Marlène Jobert ou Claude Jade...
Avec sa Comédie de Bourgogne, dont il était le seul comédien professionnel, bien qu’entouré de personnels techniques professionnels, il a fait vivre pendant trente ans une troupe composée d’anciens diplômés du conservatoire et de jeunes élèves de son cours, repérés dès leur concours d’admission à l’instar de Marlène Jobert ou de Claude Jade, de Jacques Franz ou de Bernard Lanneau, de Jean-Claude Frissung, Marguerite Colon, Elisabeth Moreau, Annie Didion et tant d’autres qui se sont ensuite illustrés sur les planches parisiennes. Quand vous entendez, en français, Robert de Niro ou Kevin Costner, c’est un peu à André Héraud que vous le devez !
La troupe nommée Comédie de Bourgogne, sous
sa direction implacable, a été la seule compagnie théâtrale, entre 1958 et
1988, à sillonner chaque printemps toutes les villes de Côte-d’Or – et même
Bèze, Saint-Seine-l’Abbaye, Baigneux-les-Juifs ou Santenay – avec des
spectacles originaux signés Molière ou Shakespeare, Ionesco ou Roblès, Jules
Romains, Tchekov ou Ramuz. Une exposition des costumes réalisés par la regrettée
Georgette Héraud avait d’ailleurs permis, en 2005 au conservatoire, de faire
revivre un peu de cette étonnante histoire culturelle.
Et même le Père Noël !
Lui qui obtint les plus hautes récompenses
au conservatoire supérieur de Paris en compagnie de Jean-Paul Belmondo ou Annie
Girardot ne montra, dans ses prestations, qu’un tout petit peu de son grand
talent : qui n’a été sidéré de le voir en Arnolphe de L’École des Femmes ou en diable de L’Histoire du Soldat ? Ce maître avait la modestie des "grands": il
n’a jamais hésité à faire vivre le théâtre de Dijon lors des Fêtes de la Vigne,
à incarner le Père Noël descendant chaque année des toits du Palais des Ducs ou
à assurer des petits rôles dans les productions locales de la télévision
régionale voire à prêter sa voix, comme récitant, dans les concerts “avec
texte”.
"Oh, c’est loin tout ça" m’a-t-il murmuré huit
jours avant sa mort alors que j’évoquais devant lui ces années de Comédie de
Bourgogne. Et puis, tout de même, il m’a demandé de me m’occuper des archives
de la CDB s’il venait à mourir, ce qu’il envisageait avec une sérénité
bouleversante.
Michel HUVET