mercredi 17 novembre 2010

JULES ROY / AUBERT LEMELAND : L'OPÉRA INACHEVÉ

La mort d’Aubert Lemeland, survenue à Paris le 15 novembre, a déclenché chez bien des mélomanes un immense chagrin. Mais, plus encore, c’est Jean-Louis Roy qui aura en ces jours le plus de regrets : il se sera battu longtemps, à Dijon et ailleurs, pour que l’oeuvre de son père, Jules Roy, mise en opéra par Aubert Lemeland, soit enfin représentée lors du centenaire de l’auteur des Chevaux du soleil, en 2007.

M’étant quelque peu engagé à ses côtés pour que Lieutenant Karl fût enfin représenté à Dijon, je ne peux que laisser l’immense mélomane qu’est Jean-Louis Roy rendre ici hommage à un musicien né au pays de Barbey d’Aurevilly (La Haye-du-Puits) qui a traversé ce siècle avec des musiques exigeantes et toutes inspirées des terribles heures que, comme Jules Roy, il traversa entre 1940 et 1945.

 Michel HUVET


REQUIEM POUR UN SOLDAT MUSICIEN

Les premières orgues qui retentirent aux oreilles d’Aubert Lemeland furent celles des forteresses volantes B-17 qui traversaient le Cotentin pour écraser l’Allemagne et quelques points stratégiques de France et de sa chère Normandie. Né en 1932 à La Haye-du-Puits, il refermé sa partition le 15 novembre 2010, à Paris où il vivait.

Pendant les 78 ans de sa vie, le débarquement du 6 juin 44 a constamment retenti dans sa musique. Il a chanté la mer, le ciel et les soldats morts, l’honneur et la gloire de jeunes hommes au destin fracassé (Omaha, Songs for the dead Soldiers, Airmen, A l’Etale de basse-mer  ont reçu ensemble un Diapason d’Or). Un des derniers grands héritiers de l’impressionnisme musical français, son œuvre comporte plus de 220 numéros dont 12 symphonies, 3 concertos de violon et deux opéras. Riche et variée, elle a été souvent enregistrée, un Grand Prix Charles Cros lui fut décerné en 1995.

Ses partitions de chambre avec instruments à vents lui apportaient « un plaisir d’écriture qui est comme celui de respirer, de vivre ». Il partage la fraîche et fluide diction qui circule du dernier Debussy via Koechlin jusqu’à Dutilleux ou Ohana. Sa méthode d’harmonisation tonale moderne et ses mélodies ont une expression modale très avancée. La profonde technique d’orchestration de ses 3 Poèmes de Stéphane Mallarmé rappelle Ravel. Il a fondé l'Ensemble de chambre Français.

La musique de Lemeland, tonale, est très accessible ; les Ballades du soldat, pour piano seul jouées par Jean-Pierre Ferey (excellent pianiste qui dirige par ailleurs l’éditeur Skarbo), sont des miniatures inspirées par les lettres de soldats américains acteurs du débarquement de 1944. En 2002, il bâtira sa 10e symphonie (6 mouvements, un narrateur, une soprano et l’orchestre) sur des lettres de soldats allemands piégés à Stalingrad, l’accouplant au Mémorial « Dieppe 19 août 1942 » qui exprime sa compassion pour les Canadiens morts à Dieppe. Comme dans Omaha, on y retrouve ses admirables expressions d’harmonie lyrique.

En 1996, il avait rencontré Jules Roy dont l’œuvre d’écrivain-soldat allait nourrir la sienne. Pour fêter son centenaire en 2007, il acheva son opéra, Lieutenant Karl ; son premier, Laure ou La Lettre au Cachet Rouge, venait en droite ligne de Vigny. Pourtant, il restait méconnu ; peu joué, il était à bout de ressources, condamné à l’ascétisme. Il tarda à consulter, craignant sans doute de ne pouvoir se payer un spécialiste. Hospitalisé trop tard, l’intervention nécessaire l’aggrava, la situation n’eut d’autre issue que celle qui lui était familière depuis l’enfance. Il l’affronta avec sérénité.

Les concours officiels, que je sollicitais en vain pour lui depuis un an, se sont manifestés le lendemain  de sa mort. Je ne pus que leur confier l’heure de son service religieux et de son enterrement au Père-Lachaise pour qu’ils puissent, au moins par une gerbe, lui témoigner leur reconnaissance.

Jean Louis Roy.



4 commentaires:

  1. Aubert Lemeland : sa dernière Symphonie,la n° 12, « La Vallée Heureuse » Opus 243, est « à la mémoire de Jules Roy ».
    Suite évidente de la célébration en 2007 du centenaire Jules Roy, cette œuvre s’ajoute à la liste des publications initialement envisagées.

    Les bois par deux, mais 4 cors ;
    2 trompettes, 2 trombones, tuba ;
    percussions : 3 musiciens (timbales, caisse claire, grosse caisse, 3 tam-tam, vibraphone, glockenspiel) ;
    grande formation de cordes (au moins 12 premiers violons, 10 seconds, et 6 altos,
    4 violoncelles et 5 basses à 5 cordes).

    Reçu copie de la partition du 1er mvt, largo, le 03.07.2008, datée du 01.07.2008 : "Modéré, presque lent et animé". Il précise :
    J’ai trouvé la citation qui me convient, p. 78 de La Vallée heureuse, à partir de « l’escadre traversa la Manche… » juqu’à « …que les canons ne tardèrent pas à réveiller ».
    Une soprano fera l’épilogue sur des vers venus des Chants et Prières pour des pilotes, qu’elle chantera, sur un tempo plutôt lent pour conclure ma symphonie « La Vallée heureuse » :

    Longue est la nuit qui espère le jour !
    Quel est ce soleil dont l’aube n’est pas née ?
    Nos bombes de feu ont dressé un bûcher d’or,
    La Terre crève en cascades de rubis.

    Enfants, vous brûlez vos ailes au brasier. Fuyez,
    Plongez, loin des chasseurs et des canons, et de la lumière crue,
    Glissez-vous dans la nuit... douce est la nuit,
    Repoussez l’or et vos cataractes de diamants...

    Longue est la nuit dont j’espère le jour,
    Blanches seront les falaises de Douvres,
    Et douce l’herbe anglaise où je me coucherai,
    Si douce l’herbe anglaise pour des aviateurs morts.

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  2. Si se constitue une association des Amis d'Aubert Lemeland, je demanderai à en faire partie. D'ici là, acheter son oeuvre, l'écouter, la comprendre, la commenter. MH

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  4. Les amateurs de la musique de feu notre ami Aubert sont informés que dans le cadre du Weekend de Clavier Contemporain 2011, un concert sera donné de son oeuvre Les Ballades du Soldat, au conservatoire Frédéric Chopin, 43 rue Bargue, 75015 PARIS, métro Volontaires (conservatoirechopin.com) le 5 février 2011 à 20h30. Jean-Pierre Ferey, présentation et piano.

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